PIERRE OZER

PIERRE OZER

Le développement : l'affaire du Nord? [Le Soir]

Il y a un an, M. Armand De Decker, ministre de la Coopération au développement, disait, à l'occasion de l'inauguration de la campagne de sensibilisation aux Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) : « Le développement est une nécessité politique. A cette époque de mondialisation accélérée, une menace pour l'un est une menace pour tous. C'est pourquoi le développement est devenu le plus grand défi de notre temps ».

Ces dernières années, la Belgique tente de se donner les moyens de sa politique de coopération au développement. Le budget de la coopération belge est ainsi passé de 732 millions d'euros en 2004 à 864 millions d'euros l'année dernière, tendant progressivement, comme convenu lors de la conférence de Monterey, vers l'objectif de 0,7% du Produit intérieur brut à l'horizon 2010.

Dernièrement, la direction générale de la Coopération au développement (DGCD) a lancé un appel à candidatures pour divers postes d'experts associés, d'une durée variant de une à trois années. Ces postes sont entièrement financés par le Trésor belge pour le compte de plusieurs organes des Nations unies qui en font la demande, comme le Programme alimentaire mondial (PAM), le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), le Bureau international du travail (BIT), l'ONU SIDA, le Haut-commissariat aux réfugiés, etc.

Pour soumettre leur candidature à ces postes, les candidats doivent remplir quatre conditions : être diplômés de l'enseignement supérieur de type long ou universitaire, pouvoir se prévaloir d'une expérience professionnelle de deux ans, avoir réussi le cycle de formation organisé par la Coopération technique belge (CTB), et être âgés de maximum 32 ans.

Ce geste vient bien à propos, puisque l'action motivée de ces jeunes experts contribuera certainement à atteindre plusieurs OMD, comme réduire de moitié la proportion de la population qui souffre de la faim et de l'extrême pauvreté, assurer l'éducation primaire pour tous, diminuer de deux tiers la mortalité infantile, stopper la propagation du VIH/sida, ou stabiliser le taux de mortalité dû aux piqûres de moustiques.

Chaque année, la DGCD finance la formation spécialisée en Belgique de plus de 700 ressortissants du Sud. Ces étudiants sont triés sur le volet en fonction de critères d'excellence stricts. Les formations permettent à ces boursiers de renforcer leur profil pour faire face, dans leur pays respectif, aux enjeux majeurs de développement. En tant que coordinateurs de diverses formations universitaires spécialisées, nous avons donc transmis cet appel à candidatures à de nombreux anciens étudiants qui ont suivi avec succès cette formation et dont l'expertise convenait parfaitement.

Toutefois, suite au dépôt de leur candidature, la DGCD a répondu que « cette année, aucun poste n'est ouvert aux candidats des pays en développement, mais uniquement aux personnes de nationalité belge et de l'Union Européenne. L'administration avait proposé d'ouvrir certains postes aux candidats du Sud, mais le ministre de la Coopération au développement en a décidé autrement ». Stupéfaction…

Nous ne comprenons pas pourquoi un tel obstacle se dresse devant les experts étrangers, alors même que la Belgique a dégagé des fonds importants pour les former. Nous savons que les Etats les moins développés n'ont pas les moyens financiers de proposer aux organes des Nations unies la prise en charge de leurs jeunes cadres. Si les pays développés veulent aider les nations du Sud, ils doivent donner l'opportunité aux cadres de ces Etats, à l'intérieur des institutions de coopération et de développement, d'élargir une expertise qu'ils pourront mettre ultérieurement à la disposition de leur propre pays.

L'ouverture exclusive de ces postes aux ressortissants de l'UE revient à faire des divers organismes internationaux de coopération des niches de formation spécialisées dans le formatage d'experts occidentaux exportables dans les pays en développement. Or ces institutions doivent se positionner à la fois comme forces de résistance à de telles discriminations et comme forces de proposition dans le choix démocratique des ressources humaines qu'elles doivent accueillir, ceci d'autant plus que ces financements sont imputés au compte de l'aide au développement. A moins que l'enjeu du développement défini comme « le plus grand défi de notre temps » ne soit que l'affaire des pays développés !

En définitive, nous ne pouvons que formellement désapprouver une telle politique. Nous ne demandons pas des quotas pour les ressortissants du Sud, formés ou non en Belgique, mais simplement que les candidats soient sélectionnés sur base de leur expertise, indépendamment de leur nationalité.

 

Béra F., Coignoul F., Descheemaeker M., De Schutter O., Fierens J., Henry de Frahan B., Jourquin B., Kestemont P., Larondelle Y., Lebailly P., Mormont M., Ozer A., Ozer P., Paul R., Poncelet M., Robert A., von Frenckell M. Le Soir (Belgique), 30 juin 2006.

 

Pour avoir la version pdf de cet article, envoyez-moi un mail: pozer@ulg.ac.be

 

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20/06/2006
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